La Traversée du Mont Pelvoux, 3943m
Profitons de cet été 2021 pluvieux pour narrer l'épopée du Mont Pelvoux qui a eu lieu il y a maintenant un an, à la fin août 2020.
Cette année 2020 a commencé sur les chapeaux de roues avec l'entrée en scène du Covid 19. Après un confinement de plusieurs mois, nous avons eu le droit à un répit estival.
Ni une ni deux, je pose une semaine de congés, je charge la caisse de tout le matos d'escalade et d'alpinisme dont je dispose, et surtout Antoine, le frérot! (aka Toto).
Destination le paradis des grimpeurs, la Mecque des alpinistes et montagnards en tout genre, j'ai nommé Ailefroide.
Ailefroide c'est avant tout une vallée magnifique, formée par l'eau de font du glacier Noir et du glacier Blanc, entourée de sommets vertigineux. C'est également un camping superbe, emplacement libre, très peu cher, agréable à vivre et déconnecté du monde. C'est enfin un spot incroyable pour toute personne aimant le rocher. Du bloc, de la couenne, des grandes voies, et des courses alpines majeures à portée de jambes. 3 heures de routes, dont 1h30 de route de montagne, Ailefroide se mérite…
Au programme pour ces vacances : De la grimpe, encore de la grimpe, une course d'alpinisme et des binouzes. De vraies vacances quoi!
Il est prévu que Lancelot nous rejoigne deux jours plus tard.
C'est dans cet état d'esprit complètement euphorique, libérés du Confinement, électrisés par l'idée d'être dehors, dans la nature, sans contrainte professionnelle ou sociale que nous déciderons d'entreprendre la traversée Sud -> Nord du Pelvoux sur deux jours.
Alors que nous écumons les montagnes depuis quelques temps déjà avec Lancelot depuis notre première course au Mont Blanc, Antoine n'a, quant à lui, pas d'expérience de la haute montagne. Il a toute fois une très bonne forme physique, de bonnes connaissances et une bonne appréhension du vide grâce à l'escalade. Location du matériel, étude de l'itinéraire, consultation au bureau des guides, rappel des manipulations et bonne pratiques en alpi… Les préparatifs de la course se passent bien, les prévisions météo sont très bonnes pour les jours à venir, tous les feux sont au vert.
L'objectif est le suivant :
- Rejoindre le refuge du Pelvoux (2700m) le premier jour pour y passer la nuit.
- Partir le lendemain matin pour faire la pointe Puiseux (3943m) en passant par les rochers rouges, le couloir Coolidge n'étant plus en condition à cette période.
- Redescendre par le Glacier des Violettes, le névé de Pélissier puis le ravin des planes. l'itinéraire "chamois" pour citer C2C.
Cet itinéraire nous fait donc 1200m de d+ le premier jour, autant le second mais quasiment 2500m de d- en rab.
C'est donc la fleur au fusil que nous partons en fin de matinée pour rejoindre le refuge du Pelvoux en fin de matinée. L'approche au refuge se fait sous le soleil de plomb du mois d'août, mais la rencontre avec nos amis bouquetin et la beauté des lieux nous fait vite oublier cette canicule.
Quelques heures plus tard, nous arrivons tranquillement au refuge et sommes chaleureusement accueillis par les gardiens. Le refuge est très grand, nous visitons un peu les lieux, également l'ancien refuge en bois qui est toujours présent derrière et nous détendons autour d'une partie de Yams. Un repas copieux nous est ensuite servi accompagné d'un bon pichet de rouge histoire de passer une bonne nuit (et l'eau de fonte ça file la chiasse il parait). La mixture n'aura pas trop marché pour moi, entre la chaleur étouffante des lieux accentuée par la digestion difficile, et les ronflements du père Lancelot qui ont du tenir en éveil tout le dortoir, la nuit fut courte.
Le clairon sonne à 4 heures, nous avalons un petit déjeuner dans un silence de plomb, s'équipons pour l'ascension et partons à la frontale.
Nous chaussons les crampons pour traverser le torrent du clos de l'homme et une partie de la Bosse de Sialouze qui est en glace. Nous entendons également une cordée au pas lourd dans l'attaque du Rocher Rouge. Le temps de lever les yeux pour chercher les frontales, un gadin passe à toute vitesse à notre niveau et manque de percuter Lancelot en pleine figure qui l'évite de justesse.
La cordée en dessous de nous a été touchée visiblement vu les noms d'animaux qui fusent mais rien de cassé.
En attaquant la montée dans le Rocher Rouge, on constate effectivement que le caillou est péteux. En faisant attention où nous mettons les pieds et où passe la corde, il est toutefois relativement aisé de garder les collègues de dessous à l'abris d'une pluie de cailloux.
Ce n'est visiblement pas l'avis de la cordée -désencordée- du dessus qui, aussi malhabile qu'un troupeau de bovins dans un poulailler, tente de nous assassiner à plusieurs reprises. On les insulte, on les rattrape pour leur faire la leçon, mais ces couillons ne parlent pas un mot de français, ni d'anglais visiblement. Du coup on les dépasse pour notre propre sécurité.
Nous mettons environ une heure de plus que prévu par le topo sans réellement comprendre comment. La montée fut toutefois assez éprouvante, et l'arrivée sur le glacier du Pelvoux est un réel soulagement. Une fois quelques graines avalées et les crampons équipés, nous gravissons les quelques centaines de mètres qui nous séparent de la pointe Puiseux par le glacier.
Au sommet, la vue est à couper le souffle. A notre portée se trouvent tous les sommets majeurs du massif des environs, dont la barre des Écrins, visible depuis sa mythique face sud. En levant un peu le regard, une bonne partie des sommets de la chaîne des Alpes s'offrent à nous. Nous en reconnaissons certains, et tentons de deviner les autres.
Après en avoir pris plein les mirettes, nous analysons la descente qui nous attend en tournant nos regards vers le glacier des violettes. Par ailleurs, il ne faut pas traîner, certains passages sont exposés aux chutes de pierre et d'autres aux chutes de séracs. Plus tôt nous passerons cette partie, plus vite nous serons en sécurité. C'est également ici que nos chemins se séparent avec les autres cordées qui redescendront par le chemin de montée. Une fois sur le glacier des violettes nous serons -enfin- seuls.
Nous entamons la descente encordés, moi en tête, Toto en second et Lancelot fermant la marche. Nous atteignons rapidement le glacier torturé des Violettes avec ses énormes séracs et ses nombreuses crevasses. Le soleil est déjà haut dans le ciel, et nous entendons déjà quelques chutes de pierre.
Une crevasse d'environ 1 mètre de large nous barre la route. Nous sommes également surélevés d'environ 1 mètre par rapport à l'autre côté. Plutôt que de la contourner, je propose de la sauter. C'est rigolo après tout… Antoine se rapproche pour me laisser un peu corde, je prend un peu d'élan et saute la crevasse.
Antoine s'approche, prend son élan et saute sans autre forme de procès. Le vol est beau, mais l'atterrissage un peu moins. Il retombe mal et se foule méchamment la cheville gauche. De plus Lancelot surpris, n'ayant pas laissé le mou suffisant a été contraint de suivre et sauter en même temps la crevasse à un endroit bien plus large.
Nous sommes à environ 3500m d'altitude, la cheville du frère est salement amochée, il est 10h30 passé, la situation s'envenime sévèrement. Nous bandons la cheville gonflée, et aidons Antoine à se remettre sur pied. Près 2000 mètres de descente nous attendent. Malgré mon insistance pour appeler le PGHM, Toto se sent d'attaque pour la descente.
Après plusieurs heures de crapahutage, de rappels, de glissades approximatives et de quelques rasades de Chartreuse pour maintenir le moral des troupes, nous rejoignons le camping d'Ailefroide à la tombée de la nuit.
Cette fois ci, plus de peur que de mal mais je garderai en tête qu'un bête accident peut vite prendre des proportions désastreuses là-haut.