Cervin : Arête du Lion

Cervin : Arête du Lion

C'est l'histoire de deux frangins au Cervin...

Massif: Italie Valais W
Orientation: Sud Ouest
Cotations: D III P2
Altitude: 4478 m
Itinéraire: Lien Camptocamp

Le Cervin, ce sommet emblématique italo-suisse est depuis les prémices de ma jeune carrière d'alpiniste une réelle aspiration.

Mon frère m'en parle également fréquemment lorsque nous discutons montagne. Nous avions fait ensemble une tentative l'année passée, qui s'est avérée infructueuse à cause d'une mauvaise météo et d'un Covid ravageur.

Cette année, nous sommes mieux préparés. L'approche nous est familière, Antoine a suivi un entrainement spécifique et j'ai pour ma part acquis de l'expérience en montagne mais aussi en tant que leader de cordée. Nous avons également plus de temps devant nous afin de profiter d'une météo favorable.

C'est la tête pleine d'histoires rocambolesques sur fond de Cervin, et le corps chargé à bloc que commence notre humble aventure sur cet obélisque emblématique.

Préparatifs

Le frère vient donc à la maison accompagné de son chat un lundi 24 juillet pour une semaine. La météo nous propose deux créneaux. Un premier le jeudi 27 et un second le dimanche 30. Nous décidons donc de faire l'approche mercredi puis de réaliser l'ascension le lendemain.

Nous choisissons de faire la voie normale italienne par l'Arête du Lion. Elle est réputée légèrement plus difficile que l'arête de Hörnli côté Suisse, mais présente l'avantage d'être un peu moins parcouru et moins chère. C'est d'autant plus vrai que le refuge Carrel, en cours de rénovation, n'est actuellement pas gardé et donc libre d'accès et gratuit.

Nous prévoyons de partir léger n'ayant ni duvet, ni matériel de bivouac à emporter. Côté matos, peu de choses à prévoir également : quelques friends & coinceurs pour les passages fins et une corde de 50 mètres.

Jour 1 : Approche

Mardi matin, après une nuit ponctuée par les combats enragés des deux frangins félidés, il est temps pour nous de partir et pour eux de dormir. Les sacs sont fait, les gamelles sont pleines, nous prenons la route pour Breuil-Cervinia.

Il fait beau et frais à notre arrivée, mais le sommet que nous convoitons se cache dans un épais nuage. Nous avons également appelé la compagnie des guides de Breuil pour prendre des informations sur les conditions en montagne et la disponibilité du refuge. Le refuge est accessible mais l'ascension sera difficile à cause de chutes de neige récentes.

Après une courte errance dans les rues de Breuil nous valant une perte improbable de porte-feuille, nous attaquons l'approche en début d'après midi. Beaucoup d'eau coule sur le sentier, mais il y a également beaucoup de vent. L'antécime visible depuis le bas (Pic Tyndall) se dévoile à nous de temps à autres. Il y a effectivement beaucoup de neige collée à la paroi.

La première partie de l'approche jusqu'au refuge du Duc des Abruzzes est agréable dans des chemins d'alpage très roulant ponctués de cascades d'eau et de brebis en train de glander au soleil. Seules les rafales de vent entachent ce tableau idyllique. La seconde partie se raidit. l'accès au col se fait par des pierriers plus raides où il faut parfois poser les mains.

Une fois au col, nous nous encordons et mettons les crampons que nous garderons au pied jusqu'au refuge. La neige s'est invitée bas sur l'arête et le rocher est très glissant par endroits.

Nous arrivons au refuge Jean-Antoine Carrel perché à 3835 mètres aux alentours de 18h30 après plus de 6 heures de marche. Le refuge est quasiment plein, nous prenons les deux derniers matelas disponibles.

Après s'être réhydraté et avoir avalé un repas frugal, nous décidons de mettre le réveil à 4h30, pour départ 5h le lendemain.

Jour 2 : Ascension

Le réveil sonne. La plupart des prétendants au sommet sont déjà levés et s'activent au départ. Nous ne voulions pas être dans le flux, nous serons après. Ayant fait un petit MAM (Mal Aigue des Montagnes) Antoine n'a quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Après avoir avalé un Dolipranne, le mal de tête s'évanoui et il se sent assez en forme pour faire l'ascension.

Lorsque nous arrivons au réfectoire, je n'en crois pas mes yeux. Au milieu de la dizaine d'alpinistes se préparant pour l'ascension, un visage m'est étrangement familier. JB (mon coloc) se trouve ici emmitouflé dans une couette, assis à une table en train de boire un thé.

Complètement ébahis, je le salue chaleureusement et lui demande ce qu'il peut bien foutre ici à cette heure ci! Ce fou furieux a pris la décision de nous rejoindre depuis Chamonix by fair means, en vélo, puis à pied.

Après être parti à 16 heures de Chamonix, avoir passé le tunnel du Mont Blanc en vélo-stop, avoir parcouru une belle partie de la vallée d'Aoste et être remonté jusqu'à Breuil perché à plus de 2000 mètres d'altitude, il a avalé l'approche de nuit et est arrivé au refuge légèrement avant 5 heures du matin.

Sur-humain ou inconscient, déterminé ou complètement timbré, je vous laisse vous faire votre propre jugement; mais je reconnais bien là mon pote JB. Il y a malgré tout laissé quelques plumes le bougre, je lui demande s'il veut faire l'ascension avec nous, il me demande 20 minutes de repos avant d'aller au charbon. C'est parfait, nous serons moins gênés par les autres cordées sur le départ.

Après ce repos dérisoire, nous quittons le refuge aux alentours de 5h30.

3 cordées sont encore agglutinées au premier ressaut équipé de cordes fixes. Nous patientons derrière les deux premières et la troisième nous laisse le champs libre. Malgré notre départ tardif nous nous trouvons encore dans le flux d'alpinistes. Ce n'est décidément pas un sommet à faire si l'aspect sauvage et l'isolement sont des ingrédients primordiaux pour une ascension réussie.

L'itinéraire bien en tête, nous évoluons à notre rythme, franchissant tour à tour  raides cheminées, crêtes effilées, portions en glace et autres joyeusetés que nous offre cet itinéraire vertigineux. Le vent à tendance à nous glacer les os, surtout à cette altitude.

Au pied du Pic Tyndall (4241 m), JB m'alerte qu'il est à bout de force. Ayant déjà fait deux fois le sommet, il préfère rester dans une niche à l'abris du vent et attendre notre retour ici. Je lui laisse ma doudoune et nous continuons sans trop nous attarder avec Antoine en direction du sommet.

Nous avançons bien, mais la courte nuit, le vent violent et la neige omniprésente nous ralentissent. Je bloque un friend dans une section de désescalade, je m'énerve et m'en veut. Tant pis, nous continuons.

Après avoir franchi et traversé la pointe Tyndall, nous enjambons une étroite brèche nous conduisant au pied des dernières difficultés. Du bas, nous apercevons les premières cordées sur le retour. Les croiser sur les cordes fixes va s'avérer plus compliqué que prévu et nous fera perdre de précieuses minutes. Suite à ces dernières difficultés, nous atteignons le sommet à midi pile.

Après s'être congratulés, nous nous préparons à la longue et périlleuse descente qui nous attend.

A l'instar de la montée, nous assurons chaque passage, tantôt via des moulinettes sur les sections raides, tantôt en protégeant les portions de désescalade. J'arrive même à récupérer mon friend coincé à l'allée!

Ne surtout pas relâcher la concentration à la descente...

Arrivé à la niche où nous avons laissé JB, plus personne! Il a du être récupéré par une cordée nous précédant. Nous continuons notre descente.

Nous atteignons le refuge à 18h30 après 13 heures d'effort. Je retrouvé ma doudoune accrochée à un porte-manteau, le coloc a bel et bien pu redescendre.

Après 20 minutes de pause, nous décidons de terminer la descente. Nous sommes encore perchés à plus de 3800 mètres d'altitude, 1800 mètres de dénivelé et 2 heures de route nous séparent encore de notre lit douillet.

Malgré l'interminable descente, nous retrouvons le sourire dès la fin des difficultés, après avoir retrouvé une source d'eau revigorante. La nuit tombe, la lune nous éclaire la route et le brouillard nous accueille à Breuil-Cervinia lorsque nous rejoignons la voiture, ravis à minuit passé.

La route fut longue, mais nous nous sommes tenus éveillés et sommes arrivés à 2h30 à la maison pour un repos bien mérité.

JB est quant à lui rentré en stop avec la cordée qui l'a accompagné à la descente.

Bravo mon frère pour cette fantastique ascension, elle restera gravée dans ma mémoire!