Aiguille Verte : Couloir Whymper

Massif: Mont Blanc
Orientation: Sud Est
Cotations: AD+ III P3
Altitude: 2687 m / 4122 m

Le 12 et 13 juin 2021

Après une longue période de confinement suivie d'une météo capricieuse et d'un emploi du temps chargé, nous avons enfin trouvé un créneau viable pour une grosse sortie en montagne. Ce coup-ci nous sommes en binôme avec Lancelot.

Jour 1

Départ de Lyon de bonne heure en direction la Mecque de l'alpinisme, Chamonix. Les sacs sont prêts depuis la veille. Nous décidons d'embarquer les skis malgré la période tardive et les fortes chaleurs récentes.

L'objectif du jour est de chopper une des premières bennes de l'aiguille du midi, descendre la vallée blanche à ski, et rejoindre ensuite le refuge du couvercle. Le refuge d'été étant fermé pour travaux cette année, les places sont chères et il vaut mieux arriver tôt si on préfère les matelas aux tables pour passer la nuit.

Arrivés vers 8h30 au parking du Montenvers, nous passons par la boulangerie pour prendre un casse dalle et direction le départ du téléphérique dont les câbles vertigineux nous projettent vers les cimes depuis la vallée.

Nous embarquons ensuite rapidement aux alentours de 9h après s'être équipés.

Covid oblige, les masques sont de la partie

La benne est extrêmement rapide, on se retrouve propulsés en un rien de temps à 3800m d'altitude. Cela fait 2 mois depuis le Mont Pourri que nous n'avons pas passé la barre de 3000m, les globules rouges se sont dispersées, ca fait un choc… L'air s'est raréfié d'un coup, les oreilles se bouchent, mais putin on est heureux d'être là !

Deux bienheureux, avec l'aiguille Verte au milieu :)

La vue est splendide, on aperçoit le mont Blanc et la voie des 3 monts d'un côté, et tout le cirque de la vallée blanche de l'autre. Dans le lointain, notre objectif,  la Verte!

Bon c'est pas tout, mais on n'est pas venu la pour beurrer des tartines. 2-3 photos de touriste plus tard nous traversons le pont suspendu (avec un beau couloir en dessous, qu'il faudra revenir skier se dit-on…) et nous rejoignons les pentes de neige. C'est raide à gauche, raide à droite, les spatules sont restées au placard pendant 2 mois, les premiers virages s'annoncent coton.

Après avoir chaussé, Les doutes se dissipent, et sont remplacés par la joie de skier jusqu'au … 5e ? 6e virage ?

C'est quoi ce délire j'ai les cuisses cramées !

A bout de souffle, j'approuve la remarque de Lancelot, on prend 2 minutes pour se remettre de nos émotions et c'est reparti.

Les 200 premiers mètres de dénivelé passées, les cuisses se chauffent le cœur s'accélère et la machine se met en route. On peut enfin lâcher un peu les chevaux.

La vue est splendide sur la glacier, les géants nous surplombent de leurs faces imposantes. On se remémore notre aventure à la Dent du Géant… en se promettant d'y retourner bientôt, en mode grimpe ce coup ci.

La fameuse ratoune avec les bennes en lévitation

La moquette est un délice à skier, mais le soleil tape déjà fort, et ca transforme vite. Arrivés au sérac du Géant (ou SUPER sérac comme aime l'appeler Lancelot :D), ca devient vite très lourd. Les crevasses commencent déjà à s'élargir et à montrer les entrailles sombres de la mer de glace. On décide de ne pas prendre de risque et on tire un brin de corde pour passer le sérac. Les quelques crevasses enjambées, et après une courte séance de slalom entre les rochers  nous arrivons vite au terme de notre descente. Il est temps de déchausser les skis et de crapahuter à pied.

Il est 10h30, il nous reste environ 600m de dénivelé pour atteindre le refuge du Couvercle, notre objectif du jour. Après avoir traversé ce qu'il reste du glacier, la montée se fait dans l'insouciance la plus totale avec en bruit de fond, l'aiguille du Tacul qui vomi des gadins à un rythme effréné. On se retourne toutes les 5 minutes pour essayer d'identifier l'éboulement à l'origine du son assourdissant.

Nous grimpons tranquillement les échelles, croisons d'autres amis skieurs (ouf on n'est pas les seuls barj' à se trimballer avec des skis sur le dos !) et continuons notre chemin vers le refuge qui ne tarde pas à pointer le bout de son nez.

J'ai connu pire comme balcon (Grandes Jorasses à droite)

Nous arrivons au refuge aux alentours de midi, posons les affaires, et soufflons un peu. L'après-midi sera dédié à discutailler avec les autres cordées, à manger, et surtout à se reposer. En effet la nuit va être courte, le réveil est réglé sur 23h30 pour un départ minuit.

Jour 2

Après une courte nuit, ou une grosse sieste on se reveille silencieusement à l'heure convenue. Départ rapide après avoir avalé quelques graines et enfilé les affaires. Curieusement, une seule cordée de deux partent avec nous, les autres sont déjà en route.

Les skis au pieds, nous attaquons les quelques 700m de d+ qui nous séparent de la rimaye, au pied du couloir Whymper. La neige n'a pas transformée au refuge, nous sommes heureux d'avoir opté pour les skis.

Malgré quelques passages acrobatiques dans des coulées de neiges, nous conservons un bon rythme et atteignons le pied du couloir en un peu plus de 2 heures. Nous apercevons dans le noir les frontales des deux cordées qui nous précèdent. Celle qui est parti en même temps que nous arrivent également.

Changement de rythme, nous laissons les skis au pied de la voie, chaussons les crampons et piolets en main, nous attaquons l'ascension.

La première difficulté est la rimaye. Gouffre béant à la jonction entre le glacier et le couloir, elle avait laissé sur le carreau Lancelot et JB lors de notre première tentative en automne dernier. Cette fois ci, un beau pont de neige est présent, nous pouvons passer sans trop de problème, c'est toujours ca de gagné!

A la frontale, nous ne nous rendons pas trop compte de la taille du couloir à gravir, et c'est plutôt une bonne chose. 600m de pente à une moyenne de 50° surplombe nos têtes.

Le rythme est bon, la forme est là, nous avançons efficacement. Nous rattrapons la cordée précédente qui hésite entre un couloir en glace assez raide et un passage en rocher plutôt lisse. Le temps qu'ils se décident, je fais une tentative sur le passage en rocher. Lancelot m'assure, je coince les piolets dans des fissures et tente de monter les pieds. Au bout de 4-5m, mon crampon glisse sur le rocher dans une gerbe d'étincelles et je me retrouve en équilibre précaire sur un piolet et une pointe de crampon.  

Un peu trop engagé pour moi amigo, surtout sans coinceurs, je vais redescendre et on va tenter le couloir.

Ce choix s'avéra judicieux, nous passons le couloir sans trop de problème. Après avoir dépassé la seconde cordée, nous alternons la trace avec Lancelot pour s'économiser.

Il fait toujours nuit noire, nous sommes presque à mi chemin. Suspendu sur les pointes des crampons, je prend soudainement conscience du vide en apercevant sous mon épaule la dernière cordée qui se trouve quelques 200 mètres plus bas. Même si la pente n'est pas "extrême" ou que ce couloir n'est pas le plus long ou le plus engagé du massif, ce vide m'impressionne et un frisson me traverse. J'en fais part à Lancelot, il reprend le lead.

Il doit être 4 heures du matin, les 2/3 du tiers du couloir son avalés, nous rattrapons le guide et son client. Ils entament une traversée vers la droite pour rejoindre un éperon en neige et disparaissent derrière. Sans trop se poser de question, nous suivons la trace. La neige ne tient pas, ni sous les piochons ni sous les crampons. L'équilibre est précaire et cette traversée s'avère très désagréable. Nous atteignons tant bien que mal l'éperon en neige, qui s'avère être dans des conditions aussi exécrables. Lancelot aperçoit un couloir en glace au dessus de nos têtes qui semble beaucoup plus praticable, il s'y engage et je le suit.  2 autres cordées suivent nos traces.

Lorsque le haut de ce couloir raide et inhospitalier est atteint, nous croisons 20 mètres à droite, le guide et son client qui semblent redescendre !

Ah ah je me suis trompé de chemin, c'était à gauche ! Vous avez suivi ?! Vous n'auriez pas du…

Merci mec… On se regarde éberlués avec Lancelot, suspendus dans une langue de neige compacte avoisinant les 55° avec aucun point d'assurage à portée de main si ce n'est une grosse pierre peu commode. Putin qu'on est con… on aurait du réfléchir deux secondes avant de suivre bêtement ces traces foireuses. D'un autre côté, difficile de remettre en question le choix d'un guide, surtout dans la voie normale de la Verte.

La cordée de dessous commence à paniquer un peu, je place un relais de fortune autour d'une grosse pierre et clip la corde du premier pour qu'il puisse redescendre en moulinette. Pendant ce temps là, Lancelot me propose de tenter la traversée par la gauche pour rejoindre le couloir. A vol d'oiseau, 100 mètres nous séparent du Whymper et il doit nous rester 100m de verticale pour atteindre l'arête sommitale. N'ayant pas trop envie de redescendre ce couloir sans assurage avec les autres en dessous, j'accepte.

Spoiler alerte, cette décision était mauvaise :)

Il est 5 heures du matin, Lancelot entame en tête la traversée inverse en direction du Whymper et lutte dans une pente pourrie en neige polystyrene. Il rejoint ensuite le rocher et m'assure à son tour. Pas commode cette traversée, les points d'appui glissent, il faut enfoncer les piolets jusqu'au coude pour trouver du dur, et un coup sur deux il s'agit de roche. Pour couronner le tout, une immense paroi rocheuse  verticale nous surplombe, annihilant tout espoir de sortir par le haut.

Malgré les situations foireuses, Lancelot a toujours l'instinct photographe ;)

La suite s'annonce coton, un dédale de granite chaotique nous attend et un éperon rocheux nous bloque la vue sur le Whymper. Nous n'avons toujours pas de coinceurs et la roche est très compacte. les points d'assurage sont rares voir inexistant et nous sommes obligés d'évoluer en tirant des longueurs. Le temps passe vite… Trop vite. Le soleil pointe le bout de son nez et allume le sommet de la Verte comme un phare.

Lancelot prend le lead sur les longueurs, explore les possibilités, monte, redescend et nous évoluons au gré des possibilités que nous offre le rocher.

Il est maintenant 7h30, un éperon vertical précédé d'une large fissure verticale nous fait face à une 15e de mètres de notre relais. Aucun pied, juste une plateforme pour poser les mains et l'inconnu derrière. Au même moment, nous apercevons également la seconde cordée nous précédant qui traverse au même niveau que nous, 100 mètres en contrebas. Le timing se resserre dangereusement. A 9 heures le soleil prend d'assaut le couloir et le chauffe très vite. Il faut coute que coute avoir entamé la descente sous peine de devoir danser avec les pierres et les coulées de neige.

Mon fidèle compagnon atteint en zig-zaguant la fissure précédant l'éperon.

Fais gaffe Alex, je risque de m'en prendre une

La corde passe par 2 fissures mais 15 mètres nous séparent et il risque un beau ballant si il se loupe à ce niveau. Il attrape la corniche à bout de bras, se suspend de tout son poids les pieds raclant sur la roche et passe de l'autre côté d'un coup de bassin. La corde continue de défiler doucement et s'arrête. J'entend gueuler un truc inaudible, visiblement elle est coincée. Au bout de quelques minutes, je revois sa tronche dépasser du rocher, me signale, qu'il installe un relais et je traverse à mon tour. Je monte, je descend et je bourrine dans ce passage sans pieds pour atteindre l'autre côté de l'éperon.

Nous apercevons maintenant la rive droite du couloir, il est… 8h15.

Le sommet de la Verte, si proche

Lancelot tente une dernière longueur, mais la fatigue se fait sentir, et nous perdons encore du temps dans ce dédale rocheux au lieu de rejoindre le couloir par le bas.

Il faut se rendre à l'évidence, il est maintenant trop tard pour tenter le sommet. L'aller-retour sur la crête prend environ 1/2 heures, sans compter les 50 derniers mètres de pente qu'il nous reste à gravir pour l'atteindre et le temps passé au sommet.

J'aperçois des cordelettes sur un rocher en contrebas, c'est notre porte de sortie pour rejoindre le couloir et entamer les rappels.

Après avoir rejoint le Whymper, nous croisons une des deux cordées ayant pris la bonne décision, qui redescend après être allée au sommet. Nous apercevons également la cordée qui nous précédait sur la crête sommitale.

Les rappels s'enchainent et se ressemblent, le soleil commence à taper fort dans la face, il est temps de se barrer.

Au milieu de la face, un hélicoptère du PGHM tourne au dessus de nos têtes. On apprendra plus tard au refuge qu'ils sont venus secourir la cordée aperçue sur la crête en dernier qui ont visiblement surévalués le timing.

Lorsque nous atteignons la rimaye, de grosses coulées de neige nous dépassent à une 20e de mètres sur notre gauche, il était temps de partir.

Nous retrouvons nos skis, et nous nous laissons glisser vers le refuge non pas sans une certaine frustration, mais avec tout de même le sentiment d'avoir su mettre de côté notre avidité au profil de notre sécurité.

Le retour sera long, les sacs pesant et la fatigue bien présente.

Au final, ce second but à la Verte, nous fait promettre une chose, on reviendra ! Un peu plus expérimentés et un peu moins cons nous y arriverons !

A bientôt la Verte ;)