Traversée Aiguille de Bionnassay → Dôme du Goûter
Massif: Mont Blanc
Cotations: AD IV P3 M2
Altitude: 3367 m / 4304 m
Un piolet, un caca et une crête ventée …
Nous sommes mercredi, je reçois un message de la part de JB sur le groupe proposant une sortie ce week-end. J'ai les mollets crampés de la Verte de ce week-end, mais je trépigne déjà. Lancelot n'étant pas disponible, ce sera donc une autre sortie en binôme.
La météo est incertaine, des précipitations arrivent de l'ouest et bâchent littéralement tout le pays. Notre cœur balance entre une sortie dans les écrins, la grande traversée de la Meije depuis le refuge du Promontoire, ou L'Aiguille Bionnassay, l'arête est, et pourquoi pas le Mont Blanc. Le conditions semblent légèrement plus clémentes chez les Savoyards, c'est donc à la Bionnassay que nous irons.
Jour 1
Départ de bonne heure, seul cette fois ci. Le sac est léger, un peu plus de 8kg avec l'eau et la nourriture. Ca contraste avec le sac de 20kg du week-end dernier qui m'avait scié les épaules, tassé le dos et labouré les mollets à cause des skis.
Nous nous retrouvons à Passy avec JB, chargeons une voiture et direction le Champel. Départ du parking à 10h, 7-8 heures de marche nous attendent pour rejoindre le refuge Durier et ses quelques 3389m d'altitude soit 2km au dessus de nos tronches.
La vallée est splendide, nous apercevons rapidement le Dôme de Miage par sa face nord quadrillée d'imposants séracs. A notre gauche, l'arête du Tricot qui suit une belle ligne jusqu'à l'Aiguille de Bionnassay. Cet itinéraire nous avait attiré mais nécessite un bivouac et donc de bonnes conditions…
Nous marchons à bon rythme et atteignons le refuge Plan Glacier à mi chemin aux alentours de 13 heures. Un muffin et une limonade plus tard, nous troquons les chaussures de trail légères pour les "grosses", histoire de traverser le glacier et grimper l'éperon qui mène au refuge Durier.
A cette heure ci, la neige est lourde, il faut un peu batailler pour atteindre le rocher et les quelques névés à traverser en plein cagnard nous entame les cuisses. La montée se passe sans accroche, nous atteignons le refuge vers 18 heures. La gardienne Manon et son ami David nous accueillent chaleureusement, nous serons la seule cordée cette nuit. Les autres ont annulé pour cause de mauvais temps ! Quelle idée…
Jour 2
Le réveil sonne à 4h ce matin, grasse matinée ! Malgré le vent violent, la nuit a été bonne. Après avoir avalé quelques graines, nous nous équipons en silence et attaquons l'ascension. L'objectif du jour est de grimper au sommet de l'Aiguille de Bionnassay. Normalement, 3 heures suffisent pour l'atteindre du refuge. Par la suite, si les conditions le permettent, nous rejoindrons le Dôme du Goûter par l'arête vertigineuse reliant les deux sommets. Enfin si le timing est parfait, et que le temps le permet, on tire jusqu'au Mt Blanc. Beaucoup de "si" au final sachant que rien ne se passe jamais comme prévu en montagne!
Le vent souffle encore, le regel n'est pas présent à l'altitude du refuge et une fine pluie nous fouette le visage. Les conditions ne sont pas idéales, nous verrons bien jusqu'où nous pourrons aller.
Après une approche laborieuse en neige dans laquelle on s'enfonce aléatoirement jusqu'au genou voir la taille, nous atteignons l'arête rocheuse. Des crêtes effilées comme des rasoirs nous surplombent et se perdent dans la brume épaisse, le vent s'abat par rafales sur cet orgue naturel qui nous chante une mélodie macabre, et la pluie s'intensifie et commence à sérieusement nous tremper. L'ambiance est posée.
Nous sortons un jeu de friends et raccourcissons l'encordement. J'en profite pour tester une nouvelle manip pour les anneaux de buste bloqués par un nœud de chaise, et je part en tête.
L'escalade est facile, mais le rocher trempé est glissant et les bourrasques de vent nous déstabilisent. Malgré tout, nous avançons efficacement en corde tendue. Les arêtes effilées nous fournissent une sécurité naturelle nous économisant la plupart du temps la pose de protection.
Au bout d'un petite heure sur la crête, le froid se fait sentir et JB ne semble pas dans son assiette. Les gants sont mouillés et la membrane ne suffit plus à nous réchauffer, nous faisons une pause sur une petite vire pour mettre les doudounes changer les gants et manger un peu.
JB est devant moi, j'enlève mon sac pour prendre mes affaires et j'entend un étrange bruit métallique. Evidemment, le piolet coincé dans la hanse du sac en a profité pour se faire la malle et tomber 30 mètres plus bas dans la pente de neige!
Euh JB... j'ai perdu mon piolet.
Et merde.
La paroi pour y accéder est verticale, un bon 6a. Tant pis, j'en ai vraiment besoin, surtout vu ce qu'il nous attend par la suite.
Nous faisons un relais de fortune autour d'un rocher et JB me prend en moulinette pour me faire descendre. J'atteint rapidement la pente de neige, récupère mon piolet et m'attèle à remonter. A droite : lisse, à gauche lisse, devant une fissure. Va pour la fissure. De bonnes prises de départ me permettent de prendre de la hauteur, et de regrimper environ la moitié de la parois.
La suite est plus délicate, quelques gratons fuyants et une fissure verticale dans laquelle les doigts ne rentrent pas. Je monte les pieds, coince le piolet assez haut dans la fissure et me tracte avec. Ca tient. La technique me permet de me hisser quasiment jusqu'en haut, et je finis sur un pas bien bourrin aidé par JB qui me prend bien sec.
Bon, le piolet est récupéré, et nous n'avons perdu qu'une 20e de minutes. Le mont Blanc bonus s'éloigne de nos objectifs mais la course n'est pas compromise pour autant. Cette histoire a eu le mérite de nous a réchauffer, toutefois JB est toujours un peu barbouillé. Je continue en tête.
Alex! 2 minutes je dois pisser
Un peu en équilibre, je passe la corde autour d'un rocher pour me sécurise et me tourne vers JB... accroupi et complétement défroqué!
Nooon, tu nous refait une barre des écrins ?! :D
En effet l'ami en est pas à son coup d'essai, nous avions déjà eu le droit au caca fulgurant lors d'une tentative d'ascension à la Barre des Ecrins par la face sud. Probablement une façon pour l'alpiniste encré dans ses gênes de marquer son territoire. Ainsi allégé de son lourd fardeau, JB a pu retrouver son énergie débordante.
Un piolet, un caca, on tient le bon bout.
Nous gagnons de l'altitude, la pluie se transforme en grésille et la roche mouillée en roche gelée. L'ambiance est toujours aussi glauque mais le moral est remonté et le rythme est bon. Nous atteignons le crux avant le relais que nous passons rapidement sans protection.
JB reprend le lead, nous quittons le rocher, pour se retrouver à nouveau dans la neige croutée, mais pas assez pour supporter notre poids. C'est reparti pour une session de brasse coulée.
Nous traversons une crête évasée sans nous attarder, et atteignons la dernière pente de neige menant au sommet. Le vent nous arrache par rafales, la visibilité est nulle mais nous sommes heureux !
On check l'heure, 8h30. Pour tirer jusqu'au Mont Blanc il fallait être au Dôme du Goûter à 9 heures donc on oublie. Mais le plafond de nuages s'élève un peu et nous laisse apercevoir cette fameuse crête vertigineuse… JB ayant déjà fait Bionnassay auparavant, son réelle objectif est cette fameuse traversée.
Les conditions ne sont pas vraiment réunies pour jouer au funambule sans protection appart le compagnon de cordée. Le vent souffle fort (75km/h avec des rafales à plus de 100km/h d'après la météo), et latéralement.
Qu'est ce qu'on fait, on tente la crête ?
On a qu'à aller voir ce que ca donne, si c'est trop dangereux on fera demi tour.
Je reprend la tête de la cordée, et nous entamons donc la descente vers l'est.
Les photos ne mentent pas, c'est impressionnant. Vicieusement, la vue se dégage lorsque nous atteignons l'arête. De part et d'autre, une pente de glace abrupte sur peut être 1000 mètres. Au plus étroit, la largeur du fil ne dépasse pas 50 centimètres.
Bon… si je tombe à gauche tu sautes à droite et vice versa hein? ^^'
Un pied devant l'autre, pas de faux pas, contrer le vent qui vient de la gauche, garder l'équilibre, c'est tout ce que j'ai en tête. La traversée est longue, 2km. Il faut rester concentré. La neige est relativement stable et compacte, et le vent est puissant mais constant, je me sens bien, j'avance.
Bordel, y'a de l'ambiance…
Un petit répit, le fil s'élargit. Je m'arrête, me retourne et regarde JB tout aussi concentré. Il s'arrête, me regarde, on explose de rire.
Nous prenons 2 minutes pour lever les yeux, c'est magnifique. La vue s'est dégagée en descendant, nous apercevons le fond de vallée avec St Gervais sur la gauche, les énormes séracs en dessous du Dôme du Goûter, et le vaste glacier côté italien striées de crevasses. Le Mont Blanc quant à lui nous boude et reste dans la brume. Nous avons parcouru environ un tiers de l'arête.
Après quelques photos et une séquence vidéo, nous recouvrons notre concentration et reprenons notre chemin. Nous continuons prudemment mais prestement et ne tardons pas à rejoindre la voie normale du mont Blanc côté italien.
Il est 9h30, nous faisons une pause pour manger un bout et changer le lead. Comme par magie, les rafales de vent reprennent de plus belle. Sympa, la montagne nous a laissé passer.
Il nous reste environ 400m de dénivelé et nous atteindrons le Dôme du Goûter. La montée est plus compliquée que prévu, la puissance de certaines rafales nous colle au sol piolet en main, et la neige transportée nous raye littéralement la face.
Nous passons ensuite une grosse crevasse et atteignons enfin le Dôme aux alentours de 10h30. Victory!
Quelques 3000m de descente nous attendent pour rejoindre la voiture. Nous atteignons rapidement le refuge du goûter sans pour autant s'arrêter afin de passer le fameux couloir le plus tôt possible. Des cordées montant nous rassurent sur le peu de pierre rencontrée pendant la montée et nous traversons sans encombre.
Petite pause au refuge de tête rousse pour boire un thé, et c'est partie pour un tobogan géant sous la pluie! Au final, nous avalons plus de 1000m de dénivelé en une 20e de minutes… On a finit avec le cul un peu rouge mais ca valait clairement le coup !
Le retour à la civilisation se poursuivra sans encombres jusqu'à la voiture, les 500 derniers mètres au pas de course ce qui nous permet d'éviter le gros orage JUST IN TIME !
Merci JB pour l'idée de la course, c'était splendide :).
L'aventure en vidéo :